Ibn 'Arabî - Turjman al Ashwaq L'interprète des désirs


[extraits]


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Quand se révèle mon Bien-Aimé,
Avec quel oeil Le vois-tu ?
Avec Son oeil, non le mien,
Car nul ne Le voit sauf Lui.

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Aïe ! Puissè-je savoir s'ils savent
Quel coeur ils possédèrent !
Et mon coeur puisse-t-il savoir
Quel sentier ils empruntèrent !
Furent-ils sauvés ? Périrent-ils ?
Perplexes et irrésolus,
L'amour rendit les fidèles d'amour !

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"Je m'étonne de l'amoureux dont les beautés
Miroitent dans fleurs et jardins ! "
Et moi à elle: " Ne t'étonne pas de qui tu vois,
Ce que tu as vu est toi-même dans le miroir d'un homme !"

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"Je m'étonne de l'amoureux dont les beautés
Miroitent dans fleurs et jardins ! "
Et moi à elle: " Ne t'étonne pas de qui tu vois,
Ce que tu as vu est toi-même dans le miroir d'un homme!"

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Telle une lettre dédoublée:
Nous-mêmes lors des adieux, à force d'étreinte et d'enlacement.
Deux personnes nous sommes:
Les regards n'en voient qu'une.
Corps fondu et lumière:
N'était mon gémissement, elle ne m'aurait pas vu !

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... Prodige ! Une jeune gazelle voilée
Montrant de son doigt pourpré et faisant signe de ses paupières!
Son champ est entre côtes et entrailles,
O merveille, un jardin parmi les flammes !
Mon coeur devient capable de toute image:
Il est prairie pour les gazelles, couvent pour les moines,
Temple pour les idoles, Mecque pour les pèlerins,
Tablettes de la Torah et livre du Coran.
Je suis la religion de l'amour, partout où se dirigent ses montures,
L'amour est ma religion et ma foi.

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Je salue Salma et ceux qu'abrite sa demeure !
Quelqu'un comme moi doit tendrement saluer !
Que lui coûtera de me répondre par un salut ?
Et pourtant aucun recours si les belles ne répondent pas.
Elle s'en alla avec les siens, la nuit baissant ses voiles,
Et moi: " Pitié de l'amoureux, égaré et mortifié,
Que les nostalgies entourent et protègent
Et qu'assaillent, partout où il va, celles qui décochent les flèches ! "
Elle se laissa entrevoir, un éclair fulgura.
Lequel des deux déchira les ténèbres, je ne le sais.
Et elle: " Ne lui suffit-il pas que je sois dans son coeur
Et qu'il puisse me voir en tout temps comme il veut ? "

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Demeure de jadis !
Qu'en mon coeur brille haut pour toi la lumière !
A toi mes plaintes pour les déserts sillonnés,
Les larmes versées sans retenue !
Nuit et jour je ne goûte de repos,
Reliant les matins et traversant les crépuscules.
Les chameaux ont beau souffrir du trot,
Avec fierté ils avancent nuitamment.
Par nostalgie vers toi ils nous conduisent,
N'espérant même pas avoir tes faveurs.
Déserts et sables sont prestement parcourus,
Sans lassitude aucune.
De l'allure que je leur fais subir, ils ne se plaignent point,
Mais c'est moi qui me plains, quelle absurdité !

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Ayant vu l'éclair à l'est, il a la nostalgie de l'est,
L'eût-il vu à l'ouest, il aurait eu la nostalgie de l'ouest.
Car mon amour est pour l'éclair et sa fulguration,
Non pour les lieux et terres.
La brise rapporta ce propos,
Transmis par mon chagrin, ma tristesse, ma mélancolie,
Mon ivresse, ma raison, ma nostalgie, ma passion,
Mes larmes, mes paupières, ma flamme, mon coeur:
" Celui que tu aimes est dans ton coeur,
Les soupirs le tournent et le retournent ! "
Et moi à la brise: " Rapporte-lui que c'est lui
Qui allume le feu dans le coeur !
L'éteint-il, ce sera l'union sans fin,
L'attise-t-il, qu'y pourra l'amoureux ? "

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Je sacrifie mon âme aux belles arabes distantes !
Commes elles se jouent de moi qui embrasse leurs demeures !
Si tu t'égares derrière elles,
L'effluve qu'elles exhalent t'indique le chemin.
Et si la nuit sans lune descend sur moi,
En évoquant leur souvenir, je chemine dans l'éclat de la lune.
Et si nuitamment je poursuis leurs montures,
La nuit devient pareille au soleil du matin.
J'en courtisai une
A la beauté suprême.
Se dévoile-t-elle, ce qu'elle montre est lumière
Comme un soleil sans mélange.
Soleil son visage, nuit sa chevelure,
Merveille d'image du soleil et de la nuit réunis !
Nous sommes dans la nuit en pleine lumière du jour,
Et nous sommes à midi dans une nuit de cheveux !

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